JEUNES FOOTBALLEURS À L’ABORDAGE DU RÊVE AMÉRICAIN
Les États-Unis, son American Way of Life et sa MLS, c’est ce que sont venus chercher une centaine de jeunes venus de partout en France lors d’une journée de détection organisée par le Centre national du football de Clairefontaine. Ils sont de plus en plus chaque année à envisager un départ vers le continent de tous les possibles. Alors, le soccer, plus un truc de plouc ?
PAR PIERRE-LAURENT LEMUR, À CLAIREFONTAINE VENDREDI 4 MARS
La température est négative ce samedi matin de février, et le vent fait danser la cime des arbres bordant les terrains de Clairefontaine. Pas des conditions optimales pour taper dans la balle donc, mais peu importe, le jeu en vaut la chandelle. Ils sont 90, soit le double de l’an dernier, venant de centres de formation de clubs de Ligue 1, Ligue 2 et même de clubs amateurs, à s’être pointés dans l’habituel camp retranché des Bleus. Paradoxalement, c’est pourtant bien l’Hexagone qu’ils espèrent quitter pour rejoindre les États-Unis et son soccer en pleine expansion. Face à eux, une ribambelle de recruteurs, 25 au total, débarqués directement du pays de l’Oncle Sam avec des accents plus ou moins marqués. Des coachs attentifs, arborant fièrement sur leur veste l’écusson brodé de l’équipe sportive universitaire qu’ils viennent représenter : Delaware, Marshall, HA University, New England Revolution, Portland, toutes présentes pour superviser une génération de jeunes Français biberonnés aux séries US. Le cocktail semble parfait.
« Je souris, mais là, je joue ma vie ! »
Cela fait trois ans maintenant que la Fédération française de football s’est associée à la Major League of Soccer (MLS) pour transmettre le savoir-faire de ses techniciens aux entraîneurs américains. Dans cette même logique visant à exporter le savoir-faire sportif national, a été créée l’agence FFFUSA organisant le départ de jeunes joueurs français vers les universités américaines. D’où cette journée de détection, pour ceux ayant compris bien assez tôt que la marche du monde pro serait trop haute, et qui ne seraient pas contre reprendre un cursus scolaire sérieux, bourse sportive comprise (entre 10 000 et 60 000 dollars, quand même...) de l’autre côté de l’Atlantique. C’est le cas de Guillaume, 21 ans, défenseur central passé par le centre de formation de Montpellier, mais qui n’a finalement pas signé de contrat pro du côté de la Paillade. Cette journée de détection, cela fait des mois qu’il y pense pendant les entraînements de l’AS Lattes (DH) où il évolue désormais, en attendant une opportunité : « Je veux y aller pour réussir, pour le football. Je suis concentré sur cet objectif. Je me dis qu’on voit sûrement d’un bon œil les joueurs français là-bas, car on est forts en foot. On dirait pas comme ça parce que je souris, mais là, je joue ma vie ! »
À tel point que Guillaume postule aujourd’hui blessé : « Je suis touché au tibia depuis 3 semaines, c’est pas évident, mais je fais bien la rééducation et j’ai envie de jouer. » Ça tombe bien, comme tous les autres joueurs, il a trois fois trente minutes pour faire ses preuves et espérer se faire remarquer par un recruteur. Ça fait cher le ballon joué, mais Guillaume croit en ses chances : « Je prends des cours intensifs d’anglais depuis 5 mois, car jusqu’à présent, c’était pas trop ça, et c’est important pour partir. » En effet, posséder le TOEFL (test d’anglais général reconnu par 9000 universités à travers le monde, ndlr) est une obligation, et plus les résultats obtenus à l’examen sont bons, plus les joueurs auront d’opportunités de bourses facilitant leur départ. Bien que désireuses d’enrôler des petits Frenchies, les universités américaines prennent en effet très à cœur le projet scolaire des candidats au départ. Nicolas Babayou, co-organisateur de la journée pour FFFUSA, confirme entre deux tapes d’encouragement sur l’épaule d’un jeune venu de Brest pour la journée : « Là-bas, si t’es Messi, que tu plantes 10 buts par match, mais qu’au niveau universitaire ça ne suit pas, tu ne joues pas. » Limpide.
De Michael Jordan à Benoît Cheyrou
Mady, arrière latéral de 21 ans passé par les centres de Beauvais et du Red Star avant de rejoindre la réserve de Brendford (club de Championship), voit lui aussi cette journée comme une chance unique de reprendre ses études à l’étranger : « Ce qui me motive, c’est le parcours scolaire. En Angleterre, ils se fichent complètement des études. Aux États-Unis, on est gagnants dans tous les cas. Si ça ne marche pas dans le foot, on valide quand même un diplôme qu’on peut valoriser en France » , explique-t-il avant d’entamer son deuxième match d’une demi-heure. S’il pouvait choisir son université, Mady rejoindrait la Caroline du Nord. Une destination étrange quand on croyait bêtement la côte Ouest beaucoup plus attractive. « Je suis un fan de Jordan, et c’est là-bas que tout a commencé pour lui. Je dois y aller. » Michael Jordan, la NBA, Hollywood, le Spring Break... C’est aussi toute une culture, un mode de vie, un fantasme, que vont chercher ces jeunes outre-Atlantique. Le rêve américain en somme, mais surtout, la vie étudiante américaine. Car ils savent au moment de chausser leurs crampons dans le froid, qu’aux « States » , les sportifs sont les mecs les plus populaires, donc sortent avec les plus belles filles.
Quand on évoque le sujet avec Guillaume, il sourit, gêné : « Je vais là-bas pour le foot, mais après si je peux faire la fête, je ne vais pas me priver ! Faire un Spring Break, oui ça me dirait bien. Après, il y a la bourse qui nous force à être sérieux, et mes parents m’ont bien éduqué, j’ai la tête sur les épaules. » Guillaume ira certainement demander des conseils sur comment draguer les Américaines à Xavier Audergon, le gardien de but formé à Grenoble, parti tenter sa chance aux États-Unis après la relégation administrative du GF38. C’était en 2011. Il fait alors les démarches et décroche une bourse à la Mobile University en Alabama. 5 ans plus tard, le voici coach assistant de l’équipe universitaire de Mobile et il est lui aussi présent à Clairefontaine pour peut-être repérer le futur crack français de la MLS. La vie étudiante US, Xavier en garde bien évidemment un bon souvenir : « Oui, j’ai bien profité là-bas, forcément. Après, les joueurs de soccer doivent encore combler un déficit de notoriété auprès des filles, notamment comparé aux joueurs de football américain ou aux basketteurs. » On n'en saura pas beaucoup plus, comme s’il ne fallait pas donner de mauvaises idées aux joueurs présents ce jour-là. On préférera alors leur citer l’exemple de Clément Simonin, parti jouer en université américaine et qui vient d’être drafté par le Toronto FC où évolue notamment l’ancien joueur de l’OM Benoît Cheyrou.
« Le rêve américain commence ici les gars ! »
Et si aujourd’hui, ça faisait plus rêver un aspirant footballeur professionnel de jouer à Philadelphie ou Toronto plutôt qu’à Lorient ou à Clermont ? « C’est l’évolution vers laquelle on tend » , selon Jérôme Meary, co-fondateur de l’agence FFFUSA. Dans les 8 à 10 ans à venir, la MLS va faire partie des cinq meilleures ligues au monde » , prophétise-t-il, sûr de lui. Car au-delà des noms ronflants ayant rejoint une franchise de la MLS comme Kaká (Orlando), Pirlo (New York) ou Gerrard (Los Angeles), la ligue progresse en niveau. « Les coachs sont de plus en plus compétents. Même l’équipe nationale passe maintenant la phase de poules en Coupe du monde. C’est un vrai indicateur de l’amélioration du niveau en soccer. » Cela dit, malgré les progrès de la ligue américaine, les équipes US peinent encore à s’imposer sur le continent de l'Oncle Sam. En effet, les équipes de MLS sont loin d'être impériales en Ligue des champions CONCACAF, dans laquelle évoluent également les meilleures équipes d’Amérique centrale et des Caraïbes. Les clubs issus du championnat mexicain, où évolue un certain André-Pierre Gignac (Tigres UANL), restent encore les grands favoris de la compétition. Alors la MLS, mieux qu’un ultime challenge pour joueur européen en pré-retraite ? C’est fort possible, et il va falloir s’y habituer. Sebastian Giovinco, international italien passé notamment par la Juve, a fait ce choix en rejoignant lui aussi le Toronto FC, à seulement 28 ans, avec un salaire gigantesque certes. Et il pourrait être suivi par beaucoup d’autres. À Clairefontaine, au bord du terrain, un des coachs français présents pour placer les joueurs rappelle les consignes à ses troupes, attentives avant le troisième et dernier match : « Un, on est forts mentalement. Deux, pas de grigris, je ne veux voir que des choses simples. Et trois, de la solidarité. Le rêve américain commence ici les gars ! » Le sens de la formule est là, il ne manque plus que les pompom-girls au bord des pelouses.
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